CLAUDE LE JEUNE: LA MAGIE MESUREE A L'ANTIQUE
CLASSIQUE INFO.COM
Académie Bach d’Arques-la-Bataille
2013 : L’enchantement Daedalus
Après un formidable concert consacré au thème de l’humeur dans la musique de la première moitié du XVIIème Siècle, donné l’an dernier dans le même lieu, Roberto Festa revenait en l’église d’Arques-la-Bataille pour un programme fort alléchant dédié à Claude Lejeune, et plus spécifiquement à cette partie de l’oeuvre s’appuyant sur les principes de la métrique à l’antique. En fait, de Roberto Festa sur scène, il ne fut quasiment pas question, hormis pour un bis où le napolitain rejoignit enfin les chanteurs et instrumentistes qu’il avait préparés à ce qui devait être un pur bonheur musical.
C’est un bouquet de pièces extraites de ces divers recueils publiés que Roberto Festa a rassemblé pour ses musiciens, en privilégiant le thème de la mélancolie, dans la prolongation du concert de 2012. Cette bile noire peut être contrôlée par la musique. Tournée en dérision dans la première oeuvre « Si folie était douleur », elle pousse à la réflexion métaphysique dans « Mon coeur que d’ennuis ». « Quelle eau, quel air, quel feu » relie le macrocosme de l’univers (les quatre éléments) aux réactions du corps humain : soupirs, désirs, larmes. Une note plus joyeuse est apportée par le célèbre « Revecy venir du Printans », résumé à lui seul de l’esprit humaniste de la Renaissance. Mais le mal d’amour sera de retour, conduisant soit à la folie (« Perdre le sens »), soit à la mort (« Les diverses douleurs »). La dernière pièce, « Qu’est devenu ce bel oeil ? », bouleverse l’auditeur par ses chromatismes.
De ces pièces chantées dont textes poétique et musical sont également ciselés, il semble difficile d’obtenir plus que ce qui nous fut proposé à Arques. Après une gaillarde instrumentale anonyme, Monika Mauch (déjà remarquable dans le programme de l’an dernier) et Jan van Elsacker donnaient le ton avec « Si folie estoit douleur » : beauté des timbres, projection des mots. Le concert était lancé sur des bases qu’il ne perdit pas une seule seconde. Que dire de Pascal Bertin, sublime d’expression dans « Mon coeur que d’ennuis », du quatuor Mauch/Bertin/van Elsacker/Cabre dans « Quelle eau, quel air, quel feu » dont la fin ne peut que tirer des larmes aux auditeurs ? Une Volte pour luth et une Fantasia pour violes permettaient de reprendre son souffle avant que de voir le Printemps revenir, chantés par le quintette vocal (les quatre déjà nommés, plus Josep Benet), offrant succession de duos et de trios dans chaque couplet. Une merveille !
Après une jolie Allemande (remarquable Hugh Sandilands), reprise par tous les instruments, venaient « Mon coeur qui brûle » (le quintette vocal), puis « Les diverses douleurs » offrant un Josep Cabre encore en pleine forme. Mais ce sont bien les trois dernières pièces vocales, laissant juste la place à une adorable « Angélique » pour luth, qui constituèrent le sommet d’un concert culminant pourtant déjà très haut. Successivement, « Cigne je suis » par le quintette (hallucinant alliage de timbres), « Perdre le sens » où Jan van Elsacker fit montre, dans les couplets solistes, d’une expression et d’une technique sans faille, l’équilibre et la qualité du legato de tous les chanteurs nous clouant sur place ; et enfin, « Qu’est devenu ce bel oeil », par Monika Mauch, Pascal Bertin et Josep Benet, là encore parfaits d’expression.
Il est malheureusement peu probable que nous ayons un jour un témoignage enregistré de ce remarquable programme. Mais le souvenir de ce fabuleux concert, auquel le public fit un accueil triomphal o combien mérité, restera sans doute présent très longtemps dans notre coeur. Roberto Festa avait décidément raison de nous dire que cette musique véhiculait certains affects.