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O VERGIN SANTA, NON M'ABBANDONARE

La poésie spirituelle de Leonardo Giustiniani

La lauda est une composition poétique d'argument religieux. A l'origine écrite en langue latine et dans la forme du dimètre ou trimètre ïambique, elle chantait les louanges de Dieu, de la Vierge et des Saints.Il s'agissait d'une sorte d'intégration, d'interpolation de l'Office divin – que les clercs autorisèrent toujours plus largement, pour favoriser la participation des laïcs aux rites de l'Église. Déjà, dans les premières décennies du XIIIè siècle, s'étaient formées des confréries de laudesi, à qui incombait la tâche d'entonner les louanges à la Vierge après la cérémonie religieuse.Peu après, la lauda fut écrite en langue vulgaire, et devint l'expression typique de la religiosité médiévale. Le genre commença à prendre une physionomie propre durant l'année dite "de l'Alléluia" (1233), quand Franciscains et Dominicains se mirent à la tête de grandes foules psalmodiant pour appeler à la paix entre Guelfes et Gibelins. Dès lors se multiplièrent les confréries de laïcs enflammés d'ardeur pénitentielle. Dans cette phase, la lauda adopta le schéma métrique de la ballata maggiore, ou celui de la zagialesca, d'antique origine arabo-hispanique – la première introduite par Guido d'Arezzo et la seconde par Jacopone da Todi.

On passa ensuite de la lauda lyrique ou monodique à la lauda dramatique, ou bien dialoguée avec plusieurs personnages, premier noyau des représentations sacrées qui étaient réalisées sur les places avec des moyens scéniques plutôt élémentaires.

Au XVè siècle, la lauda littéraire (composée donc par des gens de lettres tels que Leonardo Giustiniani, Feo Belcari, Lorenzo de Medici, G. Beninveni, F. d'Albizzo – qui traitèrent les thèmes traditionnels de cette forme de façon plus imaginaire) adopta comme structure strophique l'ottava, le huitain des poèmes chevaleresques. Ce style, appelé lauda polyphonique, caractérisé par une écriture principalement syllabique et par le mouvement généralement uniforme des voix, fut en vogue jusqu'à la fin du XVIIè siècle.

Les exemples de laudi du XVIIIè sont le plus souvent constitués de chants monodiques, qui étaient utilisés pour accompagner les fidèles dans leur pèlerinages.

La lauda, dans son évolution tout d'abord monodique, puis dramatique et enfin polyphonique, restera toujours l'expression la plus populaire de la religiosité laïque. Les mouvements compacts des parties et l'architecture claire des lignes mélodiques sont les éléments les plus typiques du genre. Les plus de 200 laudari (recueils de laudi) conservés, nous restituent intact un répertoire incroyablement suggestif et de grande intensité dramatique, tout en nous transmettant le son d'une religion au caractère passionné qui ne demandait ni ne voulait d'intermédiaires, et trouva dans le chant la plus profonde de ses expressions.

Si, au XIIIè et au XIVè siècle, la lauda eut l'occasion de se développer et de se propager essentiellement en Italie centrale, en Ombrie et en Toscane, grâce à l'Å“uvre de Jacopone da Todi, de Franceschino degli Albizzi ou d'Ugo Panzera – ce fut en Vénétie par contre, et à Venise même, tout particulièrement, qu'elle trouva une nouvelle inspiration au XVè siècle. Le mouvement des Biancovestiti  jouait un rôle de premier plan dans  la diffusion de la pratique des laudi au nord de l'Italie. Cette pratique fut très favorablement accueillie dans la capitale vénitienne, et s'inscrivit parfaitement dans le mouvement de renaissance spirituelle qui, depuis les premières années du XVè siècle, avait trouvé le soutien de Gabriele Condulmer (Pape en 1431, sous le nom d'Eugenio IV), de Ludovico Barbo (un des principaux réalisateurs de la réforme bénédictine) et de Lorenzo Giustiniani (Patriarche de Venise et frère du poète Leonardo).

La lauda en Vénétie chercha depuis ses début une autonomie stylistique, qui ne s'exprime pas tant sous le profil poético-textuel, que sous l'aspect plus spécifiquement musical. A Venise, on renonça en fait à recourir à la pratique du cantasi come…, c'est-à-dire à l'utilisation des chants empruntés au répertoire profane pour l'interprétation des laudi, préférant composer d'autres airs pour les textes religieux que l'on désirait exécuter. La lauda n'était devenue rien d'autre qu'un prétexte pour la composition de nouveaux airs, de nouveaux chants. Ses versets ont abandonné les formes de la ballade et privilégiaient les mouvements de strambotti et de viniziane, les formes métriques du Cantar Moderno, ce style poético-musical qui, né à Venise, conquit toute la péninsule vers le milieu du XVè siècle. La pratique de l'intonation (a modo proprio) des laudi resta limitée à la région de Vénétie. En Italie centrale, et surtout auprès des poètes spirituels florentins, la pratique du cantasi come… (se chante comme), du travestissement spirituel d'airs profanes déjà existants, resta à la mode. En outre, à vouloir jumeler les textes religieux aux chants plus en vogue de l'époque, les poètes spirituels florentins furent souvent obligés d'avoir recours au répertoire profane trouvant son origine dans les giustiniane et les veniziane – le style qui fut à la mode, nous l'avons dit, dans l'Italie du XVè siècle.

Tout comme le répertoire profane, les laudi se transmirent oralement à Venise, tandis que la pratique de la notation, l'écriture musicale, fut réservée à la polyphonie artistique et aux domaines de la musique plus éloignés de la tradition populaire. On ne commença que plus tard à consigner par écrit les mélodies des laudi, quand les premiers missels, les recueils à usage catéchiste, utiles aux pij intrattenimenti et  aux "enfants de doctrine chrétienne" furent donnés à imprimer. Les sources du répertoire plus ancien de la lauda vénitienne suggèrent un genre de préférence monodique, ou à polyphonies simples – à deux ou trois voix. Il ne reste que quelques rares exemplaires de ce répertoire, mais la lauda monodique fut souvent utilisée en tant que tenor (voix principale, voix de base) pour des compositions à plusieurs voix. La lauda monodique et la lauda polyphonique ne représentent que deux aspects différents de l'histoire musicale de cette forme poétique, mais elles en révèlent les diverses destinations, les divers milieux de jouissance.

A l'ambiance de pure dévotion des couvents et des confréries religieuses, s'associe la pratique laudistico-monodique plus ancienne, qui se fonde sur la transmission orale du répertoire, enrichi d'influences populaires. La lauda polyphonique ultérieure, en revanche, expression typique de la religiosité patricienne, des grandes congrégations et des communautés spirituelles, Scuole grandi venetiane, organisées avec le soutien de l'autorité publique, s'inspire des formes d'art en vogue. La lauda polyphonique réussit à survivre jusqu'à la fin du XVIIè siècle, jumelée au formes musicales qui eurent toujours plus de succès. On la trouve entonnée, à la fin du XVè siècle, à la manière vénitienne, frottolistica  au début du XVIè et vêtue à la façon de la Canzonetta au XVIIè.

La contribution poétique de Leonardo Giustiniani (v. 1385 - 1446) à la musique italienne du XVè siècle est immense, et ses textes continuent à être chantés jusqu'au début du XVIIè. Mais c'est dans les années 1400, déjà, que Giustiniani devient un modèle apprécié du peuple et des seigneurs. Ces derniers purent en effet fonctionner en tant qu'intermédiaires de la culture raffinée et du sentiment religieux populaire. Si Feo Belcari et les autres poètes spirituels florentins choisirent les airs de Giustiniani pour entonner leurs propres textes, c'est parce qu'à Florence il manquait un personnage capable de créer ce type de lien. Les textes spirituels de Giustiniani ne sont pas recueillis en une seule Å“uvre, il n'existe pas de Laudario giustinianeo proprement dit. Il y a en fait trop de versions, trop de variantes formelles et dialectales de textes qui lui sont attribués. Il est important de comprendre que Giustiniani fut le symbole d'une manière de concevoir la relation entre musique et poésie qui, en Italie, s'opposa au cantare a libro des polyphonistes d'outre-montagne.

Giustiniani annula, avec son œuvre, la distinction entre le produit cultivé, courtois – et le produit populaire. Les airs à la viniziana naquirent liés à la tradition du chant populaire et, à travers l'œuvre du poète, s'élevèrent à une plus grande dignité artistique. Lorsqu'apparaît la lauda giustinianea, la poésie musicale avait fait mûrir à Venise un style particulier et autonome; la lauda n'avait donc plus qu'à s'intégrer dans un contexte musical et sonore déjà existant. La lauda se déguisa à la viniziana, et il ne venait à l'esprit de personne d'orner de musique les premiers recueils poétiques de Giustiniani (Editio Princeps 1474 et Editio Altera 1475). Ce ne fut pas non plus le cas des éditions qui suivirent, en 1483, 1490, 1495 et 1506. C'est pourquoi il ne reste que de rares exemplaires du répertoire laudistico-monodique, plus ancien et populaire. Nous devons attendre l'apparition de la lauda polyphonique pour apercevoir, dans les plus récentes exécutions des textes de Giustiniani, l'écho d'un monde sonore qui voudrait intentionnellement fuir l'écriture, préférant le son de la musique non écrite.

 

 

 

 

 

 

Roberto FESTA

traduction: Yaël Torelle

 

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