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En 1573, sous le titre "Sex cantiones latinae, sechs deutsche Lieder, six chansons françoises, sei madrigali italiani...", est publié par Adam Bergcurieux un recueil qui réunit les quatre langues de la correspondance de Lassus. Ses lettres... leur  trait communs au style poético-narratif de Rabelais : le plaisir de l'énumératio ; l'emploi de mots et de proverbes existants ou forgés ; les parodies de passages bibliques ; les euphonies et les jeux de mots; les expressions à sens multiples et le polylinguisme, enfin, sont de toute évidence des éléments rablaisiens. Mais Lassus ne fait pas qu'imiter le langage de son poète bien-aimé; il s'identifie à ces artifices, incapable de séparer le roman, l'invention fantastique, de la réalité. Ses évolutions linguistiques sont le signe de son mal-être: Lassus sublime ainsi l'angoisse accumulée durant les pérégrinations forcées à la suite de ses mécènes et les années passées à défendre sa dignité créatrice.

 

Le mélange linguistique était considéré par les médicins de l'époque, comme un trait propre au style mélancolique, qui citent des nombreux exemples de cette singulière confusio linguarum. Les langues de Lassus dénotent des mondes et des humeurs distincts, des traits de caractère que le compositeur ne peut évoquer qu'en se servant de l'une d'elles en particulier. Les quatre univers linguistiques coexistent, mais ne communiquent pas entre eux, ni ne se confondent; ils apparaissent en tant que dimensions isolées, en tension constante l'une par rapport à l'autre. L'Italie est la sphère des passions exubérantes; la France, celle de la nostalgie; Rome est le temps de l'austérité. Quant à Munich, c'est le lieu du calme joyeux, mais perturbé, aussi, angoissé.

 

Innombrables sont les compositions de Lassus marquées par l'humeur mélancolique. On pourrait croire, de prime abord, que c'est un signe du temps, l'âme de cette époque. Et pourtant, à y regarder de plus près, cet ensemble d'éléments trace la courbe descendante du musicie. Le sens profond de ce changement, c'est Lassus lui-même qui nous le révèle, dans la présentation des Lagrime di San Pietro. L'épuisement, le mal qui le ronge, sont à leur apogée; ses nuits sont traversées d'insomnies et Roland de Lassus, dans un éclair de génie, un ultime trait de lucidité, prend la plume pour écrire son propre requiem:

 

"[…] les berceaux de jeunes vignes, embellis par la fresque luxuriante des sarments et des pampres, sont beaucoup plus agréables aux yeux que les vieilles vignes qui, liées aux échalas et plantées dans un ordre régulier, ont l'aspect rude et défaillant de la vieillesse. Cependant, celles‑là sont pour ainsi dire infécondes, et dépensent toute leur sève en feuilles et en frondaison, tandis que celles-ci produisent une liqueur très douce aux hommes, après avoir rejeté tout ce qui était inutile. De même, dans l'appréciation des chants que j'ai composés autrefois, au printemps de ma vie et dans l'ardeur de mon jeune âge, et de ceux que je produis maintenant, dans ma vieillesse, j'en suis venu à penser que ceux-là sont plus aptes à plaire, parce que plus gais et plus aimables, mais que ceux-ci résonnent de façon plus substantielle et réjouissent plus au fond l'âme et l'oreille du censeur, parce qu'ils ont une allure plus grave; un auditeur équitable n'estimera-t-il pas que la lumière du soleil couchant est plus douce? C'est dans un crépuscule de cette sorte que mes chants vont bientôt se retirer de la scène du monde".

 

ROLAND DE LASSUS

MUSICA PANURGICA

Timor et tremor

Poiché il mio largo pianto

Sto core mio se fosse di diamante

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